ZOOM #2 : 55 noms gravés sur la stèle des reporters disparus

La stèle 2016-2017 du mémorial des reporters a été inaugurée, jeudi 5 octobre 2017, lors du Prix Bayeux-Calvados. Les journalistes présents ont rendu hommage à leurs collègues disparus.

Olena Prytula, rédactrice en chef du journal ukrainien Ukrayinska Pravda, contemple le nom de son collègue Pavel Sheremet, décédé en 2016. © Waldemar de Laage

« Ce soir, nous aurions pu faire le portrait de 55 journalistes », regrette Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières (RSF). Il présidait l’inauguration de la stèle 2016-2017 des reporters morts dans l’année. « Nous rendons hommage à l’ensemble des journalistes qui perdent la vie », poursuit-il. Dans le public, le silence règne. Les rares discussions sont chuchotées.

« Les journalistes locaux sont les premières victimes des conflits », explique Christophe Deloire. « Ils sont exécutés parce qu’ils enquêtent sur la situation de leurs pays. » Le secrétaire général de RSF a ainsi souligné l’importance des fixeurs, qui prennent des risques pour accompagner les journalistes sur le terrain.

Au pupitre, Hélène Risacher, directrice adjointe des magazines d’information de France Télévisions, s’est interrogée : « Que pouvons-nous faire pour soutenir les reporters de guerre ? » L’ancienne journaliste est revenue sur le parcours de Véronique Robert : « Elle couvrait depuis huit mois l’offensive pour reprendre Mossoul en Irak avec la Golden Division ». Véronique Robert est décédée le 24 juin 2017 suite à l’explosion d’une mine artisanale. Les autres membres de son équipe, le journaliste Stéphan Villeneuve et le fixeur Bakhtiyar Haddad, ont aussi perdu la vie. Blessé lors de l’explosion, le journaliste Samuel Forey était présent à l’inauguration.

Au Mémorial des reporters

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Fort moment d’émotion pour le journaliste Samuel Forey. © Jordan Guérin-Morin

Jordan Guérin-Morin

5 moments forts de la journée #2

JEUDI 5 OCTOBRE. Aujourd’hui, les classes de collèges et lycées du Calvados se sont déplacées au Festival des correspondants de guerre de Bayeux. Un programme bien fourni s’offrait à eux, comme en témoigne notre récapitulatif de la journée de jeudi 5 octobre. 

1 | Au cœur de Mossoul

Olivier Sarbil nous emmène au cœur de Mossoul, la bataille la plus brutale d’Irak. Jeudi 5 octobre à 21h, son documentaire, sobrement intitulé Mosul, est projeté en avant-première au Pavillon Prix Bayeux-Calvados. Le réalisateur a suivi pendant 6 mois (à partir d’octobre 2016) un groupe de jeunes soldats des forces spéciales irakiennes en lutte contre l’État Islamique. Il y dépeint les émotions et l’engagement des troupes à travers une œuvre aux images très travaillées.

Mosul suit l’expérience de quatre jeunes soldats : Anmar, un diplômé du collège qui cherche à venger son père victime d’une attaque suicide ; Hussein, un tireur d’élite souhaitant devenir footballeur ; Jamal, un sergent plutôt sévère ; et enfin Amjad, une jeune recrue excitée d’être en première ligne.

La projection du documentaire est suivie d’un échange animé par Loïck Berrou, journaliste à France 24, avec Olivier Sarbil, le réalisateur, Gwendoline Debono, journaliste à Europe 1 et Laurent Van der Stock, photojournaliste.

Retrouvez notre critique de Mosul vendredi 6 octobre.

2 | France Inter s’installe à Bayeux 

Fabienne Sintès anime le 18-20 de France Inter depuis le mois de juin. © Alexandre Hodicq

« Bienvenue à Bayeux » : ce sont les mots de Fabienne Sintès, qui a animé la tranche 18-20 de France Inter en public et en direct de la ville normande le jeudi 5 octobre. Une soixante de personnes s’était réunie à l’Hôtel du Doyen. Deux émissions au programme : Un jour dans le monde (18h20-19h20), suivi par Le Téléphone Sonne (19h20-20h). 

Un jour dans le monde s’est intéressé à divers thèmes autour des territoires de conflit. L’animatrice a notamment reçu Anne-Laure Pineau et Lëila Miñano, venues présenter leur livre intitulé Impunité Zéro. Sorti le 4 octobre, il s’agit d’une enquête sur les crimes sexuels en temps de guerre et le manque de sanctions émanant des systèmes judiciaires. « Les soldats qui violent n’ont pas de drapeau », a déclaré Leïla Miñano, mettant notamment en cause les armées françaises et américaines. 

Le Téléphone Sonne posait ensuite une question : « Peut-on voir le monde sans s’engager ? ». Les appels d’auditeurs et quelques timides interventions du public sont venus nourrir le débat.

Retrouvez vendredi 6 octobre un débriefing vidéo des émissions de France Inter sur notre site.

3 | Un hommage aux journalistes morts en terrain de guerre

Vers 18h, les proches des reporters décédés ont enlevé le drap qui cachait la stèle. © Aurélien Defer

« Ce soir, nous aurions pu faire le portrait de 55 journalistes », regrette Christophe Deloire, secrétaire général de l’ONG Reporter Sans Frontière. Il présentait, jeudi 5 octobre, l’inauguration de la stèle 2016-2017 des reporters morts dans l’exercice de leur métier. « Nous rendons hommage à l’ensemble des journalistes qui perdent la vie », poursuit-il. Dans le public, le silence règne. Les rares discussions sont chuchotées.

Pour plus d’informations, retrouvez notre zoom ici.

4 | Les violences de la campagne anti-drogue aux Philippines

Les clichés sont d’une grande violence : les corps des victimes côtoient les visages éplorés de leurs familles. © Roxane de Witte

L’exposition « Guerre contre la drogue aux Philippines : la Ronde de Nuit » se tient jusqu’au 5 novembre à l’Espace d’art actuel Le Radar de Bayeux. Pour capturer ces images, les photo-reporters ont arpenté les rues philippiennes durant la nuit. Au fil de ces « rondes de nuit », ils ont pris conscience de l’étendu des meurtres. Les images de ces crimes dans les rues des quartiers populaires s’accumulent, accompagnées de celles de familles en deuil.

Les photos assemblées par Damir Sagolj (Reuters) choquent et violentent les visiteurs. Mais cette exposition pose une question : vouloir choquer pour dénoncer, est-ce le rôle du journalisme ? 

5 | Un Soudan du Sud à l’abandon

Le Soudan a vu 2 millions de ses habitants fuir vers les pays voisins. © Roxane de Witte

Photographe pour Reuters, Adrianne Ohanesia travaille essentiellement au Soudan du Sud. Son exposition, intitulée « Point d’ébullition – Sud-Soudan et secteurs du Soudan contrôlés par les rebelles » est ouverte jusqu’au 29 octobre au Musée d’Art et d’Histoire Baron Gérard de Bayeux. Ses photos sont le fruit d’un travail réalisé entre juillet 2011 et mars 2017. 55 clichés du quotidien de populations confrontées à un conflit peu connu du grand public.

Les clichés évoquent souvent la mort sans vraiment la représenter, ce qui accentue la force de l’exposition. La représentation des combats est celle de civils luttant pour leur survie et apporte à cette exposition un témoignage poignant.

Retrouvez notre critique de l’exposition ici

La photo du jour #2 : Une photo peut en cacher une autre

Jeudi 5 octobre 2017, Bayeux. © Alexis Borne

Une photo peut en cacher une autre. À Bayeux ce matin, des lycéens de Granville visitaient l’exposition « Guerre contre la drogue aux Philippines : la Ronde de Nuit ».

Pendant la visite, un jeune lycéen a sorti son téléphone pour immortaliser une photo : celle d’une main gantée et ensanglantée qui tient des balles de pistolet. « Je photographiais les regards des lycéens quand celui-ci a sorti son téléphone. Le résultat est à la fois drôle et fort : un photographe en a inspiré un autre », explique Alexis Borne.

L’élève immortalise ainsi la découverte de la situation aux Philippines, à travers des clichés durs et marquants. Une manière de partager à son tour son émotion de l’instant, sans utiliser de mots.

Zoom : #Dysturb, déranger en informant

Créé en 2014, le collectif #Dysturb se sert de la rue pour afficher des clichés de photo-reporters en grand format. Le but : permettre au plus grand nombre d’accéder à une information gratuite et de qualité, notamment sur les zones de conflit.

La rue est l’un des moyens d’expression les plus partagés. De nombreuses personnes s’y réunissent et y font entendre leur voix. Pour cela, d’aucuns manifestent et usent d’éléments sonores. D’autres y affichent des posters géants, afin d’interpeller les passants sur le monde qui les entoure. C’est le cas du collectif #Dysturb.

Fondé en 2014 à Paris, #Dysturb est d’abord le fruit d’une rencontre, celle entre Pierre Terdjman et Benjamin Girette, il y a sept ans. Les deux hommes sont photo-reporters. Un jour, Pierre, de retour Centre-Afrique, a regretté que ses clichés n’aient pas plus de visibilité. La solution est trouvée : Pierre imprime ses photos en grand format, et va les afficher dans Paris, en bas de chez lui. Pour l’accompagner dans cette entreprise, il sollicite l’aide de Benjamin Girette. #Dysturb était né.

© Benjamin Girette / #DYSTURB, Paris on December 1st, 2015 // 15 rue de l’ecole de medicine 75005 PARIS : Special Operation with Magnum Foundation and #Dysturb for the COP21.

Diffuser l’information

Aujourd’hui, cette organisation à but non lucratif s’est développée. « Nous sommes beaucoup plus nombreux, plusieurs dizaines à agir en France, en Australie et aux États-Unis », explique Benjamin. #Dysturb n’a pas dévié de son objectif initial : celui « d’imposer l’actualité internationale au plus grand nombre, en s’affichant dans la rue, poursuit-il. Quand on s’installe rue de Rivoli, à Paris, on touche un panel assez large. »

#Dysturb cherche à diffuser des informations souvent méconnues du grand public. Leurs photographies – toujours légendées – sont autant d’occasions d’éclairer des événements passés sous silence. « Les messages qu’on diffuse se doivent d’affecter les passants, confie Benjamin. La situation des mines au Congo va impacter le prix de nos téléphones portables ; les conflits vont conduire à des mouvements migratoires, et cetera. Il est important d’en parler.»

« Dysturb » signifie « déranger », en anglais. Il s’agit précisément du but recherché en s’affichant dans la rue : « Les personnes qui tombent sur nos images n’ont pas choisi de le faire, contrairement à un magazine, détaille-t-il. On doit pouvoir les interpeller, sans pour autant tomber dans le choquant ou le dégradant. » Les posters permettent aux individus de s’interroger et de remettre leur regard en question. Ils sont ainsi un objet de scandale.

 

Une fenêtre vers l’actualité

#Dysturb sert ainsi un double intérêt : montrer la réalité du monde tout en offrant une information gratuite. Pour cela, la rue est un terrain de jeu idéal. « On peut s’exprimer comme on l’entend, d’une manière assez sauvage, raconte Benjamin. En réalité, on aurait besoin de nombreuses autorisations pour afficher. Mais cela prend trop de temps. Alors, le plus souvent, on agit dans l’illégalité. Mais nous ne vandalisons jamais et nous utilisons une colle à l’eau. » Cependant, les retours « sont très souvent positifs. Les policiers, les passants, les propriétaires comprennent cette philosophie, ce soucis d’informer. »

Mais cette gratuité de l’information implique une contrepartie : un manque de moyens. « On ne peut pas afficher 500 photos dans la rue, et nos légendes ne peuvent pas être infinies », ajoute le photo-reporter. #Dysturb doit plutôt être vu comme une fenêtre vers l’actualité, c’est-à-dire une sorte de « teaser qui donne envie d’en apprendre plus ». Les affiches de la rue ne sont pas une finalité, mais un moyen d’étendre son savoir.

Benjamin Girette s’approprie l’espace urbain avec ses photographies. © Jordan Guérin-Morin

En ce sens, le collectif fondé par Pierre Terdjman et Benjamin Girette ne se définit pas comme différent des médias conventionnels, mais plutôt comme complémentaire. La rue offre une autre perspective, qui nécessite d’être enrichie par d’autres sources d’information. #Dysturb lui-même étend son travail, par la publication d’un magazine – lui aussi gratuit – et des visites de sensibilisation dans des établissements scolaires, en association avec le Prix Bayeux-Calvados, où des posters sont affichés. #Dysturb cherche à ne pas l’oublier : informer, c’est avant tout éduquer.

                                                                                                                                        Joachim Gonzalez

La photo du jour #1 : À 4 529 kilomètres

Mercredi 4 octobre 2017, Bayeux. © Roxane de Witte

Depuis le 2 octobre, l’exposition « L’exode de Mossoul » du photographe Jan Grarup occupe la ville de Bayeux. Les photos du conflit entre l’Etat Islamique et les forces irakiennes existent entre les voitures et les passants. 

4 529 kilomètres séparent Mossoul de Bayeux. Pourtant, l’exposition permet de faire cohabiter deux villes et plusieurs cultures. Ces 25 photos sont percutantes, elles peuvent choquer. Certains passants s’arrêtent quelques secondes, d’autres poursuivent leur chemin. 

Ici, deux univers se font face, d’un côté la tranquillité d’un rendez-vous amoureux. De l’autre l’épuisement lié à l’exode. « J’avais sous les yeux l’image de Mossoul, immobile, et celle des amoureux, animés, à présent ces deux morceaux de réalité cohabitent, figés », explique Roxane de Witte.