Adriane Ohanesia dévoile un Soudan du Sud à l’abandon

Photographe pour Reuters, Adriane Ohanesia travaille essentiellement au Soudan du Sud. Son exposition intitulée « Point d’ébullition – Sud-Soudan et secteurs du Soudan contrôlés par les rebelles » est le résultat d’un travail effectué de juillet 2011 à mars 2017. 55 clichés du quotidien de populations confrontées à un conflit peu connu du grand public.

Adriane Ohanesian a su transmettre de façon remarquable la dureté du conflit et la détresse des populations. © Roxane de Witte

Des combattants à la terrasse d’un café ou fêtant une victoire, les premières photos de l’exposition donnent le ton. Occulter les combats pour montrer le quotidien des populations, non sans violence, est le parti pris d’Adriane Ohanesia. Des évocations d’avant ou après combat, nous laissant imaginer les échanges de tirs ou d’explosifs, dont les conséquences sont, elles, montrées de manière explicite. 

Le plus ancien cliché exposé symbolise le point de départ du conflit. La photo présente des drapeaux sud-soudanais, jonchant le sol, après la première fête d’indépendance, le 9 juillet 2011. La photographe montre un lieu désert où seuls les restes de la fête subsistent. Symbole d’un pays à l’abandon et fui par sa population. 

Une violence présente au quotidien

La photo des drapeaux soudanais dispersés au sol est suivie de cinq photos évoquant les réfugiés. On ressent toute leur détresse, poussés par l’envie de fuir la guerre mais confrontés à une organisation humanitaire débordée. Pourtant, dans ces conditions, ce sont des scènes presque quotidiennes, avec la réalité d‘une organisation du travail. Alors que les femmes pendent le linge sur les barbelés du camp ou vont chercher de l’eau, les enfants et leurs mères attendent les rations alimentaires, que les hommes se chargent de porter. Des populations, également affectées par le climat et le choléra, deux phénomènes mis en valeur par une saisissante flaque d’eau stagnante constellée de mouches, au sein même d’un camp de réfugiés.

Comme une invitation à se poser des questions sur l’aide humanitaire apportée à ces populations. Toutes, surveillés par des Casques bleus, révélant une violence présente sur chaque photo. Vision accentuée par des clichés poignants de villageois fuyants leurs maisons détruites et se terrant dans des grottes pour se protéger des bombardements. 
De photo en photo, Adriane Ohanesia expose le quotidien des populations, sans oublier toute la violence de la guerre. Elle reste suggérée.

L’exposition ira néanmoins plus loin. Physiquement, plusieurs photos frappent le visiteur. Un enfant brulé par une explosion recroquevillé et couvert de plaques, une autre amputée du bras. Des clichés évocateurs de la mort elle-même, sans vraiment la représenter, accentuent la force de l’exposition. Une main gisant dans une mare de sang autour de pansements impuissants. Une autre en état de décomposition abandonnée à même la terre. Des traces de doigt imprimés sur le plastique fondu d’une maison calcinée. Pas un corps ni un visage n’est visible, seule une main, on son empreinte, exposée comme le regret de n’avoir pu la saisir. 

Le choix d’Adriane Ohanesian fait passer les combats au second plan, pour inviter à réfléchir sur les conséquences du conflit, et sur la guerre en elle-même.  Sa représentation des combats est celle de civils luttant pour survivre apporte à cette exposition, techniquement parfaite, un témoignage poignant.

Waldemar de Laage