Un journaliste au front : la galère du pigiste

Projeté vendredi au cinéma Le Méliès de Bayeux, Un journaliste au front de Santiago Bertolino suit le reporter de guerre indépendant Jesse Rosenfeld pendant trois ans. Le documentariste cherche à sensibiliser les spectateurs sur les difficultés du métier.

photo film un journaliste au front
Jesse Rosenfeld dans un camp de réfugiés au Kurdistan irakien. Photo ©DR

Le film s’ouvre avec le journaliste chez lui, à Toronto au Canada. De la neige, le spectateur passe à la place Tahrir du Caire, en Egypte, en Turquie, puis en Israël et en Irak. Avec ces passages répétés entre le foyer et le terrain, le réalisateur suit sans filtre le quotidien du reporter.

Des obstacles

Au Moyen-Orient, Santiago Bertolino se concentre sur les obstacles rencontrés par Jesse Rosenfeld. De l’idée d’un sujet à sa réalisation, la route est longue pour le pigiste. Un fixeur, personne chargée de l’accompagner et de traduire ses propos, l’abandonne ainsi en cours de route car « c’est trop dangereux ». Le projet de suivre des combattants irakiens tombe à l’eau. Il doit aussi se confronter à de longs moments d’attente avant la réponse d’une rédaction à un sujet proposé. « Le feu vert » pour partir est espéré avec anxiété, traduite par des plans séquences sans fin dans une chambre d’hôtel ou du journaliste marchant dans les rues d’Istanbul. Même si le réalisateur s’accorde à vouloir en faire « un personnage », c’est l’envers d’un décor qui est montré et le métier de reporter de guerre démystifié.

Réalité méconnue du public

La situation précaire d’un pigiste, méconnue du public, est parfaitement mise en avant avec ce film.

 

Le pari du documentariste en est d’autant plus intéressant que le journaliste qu’il suit ne travaille que pour la presse écrite. Un support « plus difficile à vendre » selon lui.
Pour continuer à éclairer le public sur ce qu’est réellement un reporter de guerre freelance, le documentariste révèle que celui-ci n’a pas nécessairement besoin de se rapprocher des combats. « Il y a une scène où je vais à deux cents mètres des positions de l’État islamique avec ma caméra », précise Santiago Bertolino. Cette scène n’était pas prévue, c’est le journaliste qui en a eu l’idée. Et le réalisateur d’ajouter que « Jesse ne va pas sur la ligne de front, il n’en a pas besoin. » 
Sources muettes, difficultés à vendre un sujet, mais aussi contraintes économiques, la légende du journaliste en zone de conflit est déconstruite. « Journaliste au front est l’inverse du film Mosul projeté jeudi soir, confie une spectatrice. Le journaliste n’est justement pas sur le front, cela montre un aspect plus réel du métier. »

Flavien Larcade 

 Retrouvez le résumé en vidéo de Raphaël Aubry sur youtube.

 

La Syrie au premier plan

Depuis lundi dans la chapelle du musée de la tapisserie de Bayeux, l’exposition photo « Syrie : une exposition multimédia de l’AFP » propose une immersion dans six ans du conflit, entre combats et trêves.

photo de l'exposition
Une quarantaine de photographies sont affichées dans la chapelle du musée de la tapisserie de Bayeux. © Flavien Larcade

« Des oliviers, des moutons, une  plaine. Mais, en se rapprochant, le paysage cède le pas à la désolation. » Ces propos, extraits d’un « making-of » par la journaliste de l’Agence France Presse (AFP) Rana Massaoui, basée à Beyrouth, suffisent à résumer l’exposition. Celle-ci pourrait se contenter d’évoquer 300 000 morts par l’émotion, mais les photos vont au-delà. Elles semblent vivantes.

Les balles qui sifflent, les murs qui s’effondrent et le fracas des gravas au sol se font entendre. Des bruits qui se dégagent et s’ajoutent aux visages meurtris par les violences. Les corps bougent et les cris de détresse résonnent. Un mouvement rendu possible par l’approche des photographes.

L’immersion par l’image

L’une des photos les plus marquantes est celle de Baraa Al-Halabi. Un homme tient une jeune fille dans ses bras et appelle à l’aide. Prise en 2014 lors d’un bombardement à Alep, ce cliché lui a valu de remporter le Prix Fipcom International de Photojournalisme de l’Émirat de Fujaïrah en 2015. Une scène poignante, où la lumière et la couleur donnent l’impression que la poussière s’échappe dans l’air ambiant. Le cadrage est précis, l’œil se concentre directement sur les personnes au premier plan. 

De la souffrance des civils, le visiteur passe aux photos de combattants sur le terrain. Là aussi, les images s’animent. Les pas cadencés ou les balles qui sifflent se glissent dans les oreilles. Assis, accroupis, mitraillette en main, les images paraissent être prises au même endroit tant les gestes des soldats sont les mêmes. Elles proviennent pourtant de Yahmoul, Alep et Douma  entre 2013 et 2016.

photo enfants murs de l'exposition
Comme sur cette images de Joseph Eid, l’exposition met en avant les enfants syriens. Ici, deux jouent dans les ruines d’Alep en 2017. © Flavien Larcade

Apporter un souffle

Des scènes de combat, le regard se porte ensuite sur les villes démolies. Elles viennent apporter un souffle, la lumière ressemble à celle du calme après la tempête. Une pause avant de se retrouver de nouveau face aux civils. Ceux-ci poursuivent leur existence malgré le chaos.

Hamza Al-Ajweh immortalise ce moment avec un cliché en plan large d’un repas en plein air à Douma en juillet 2016. Il s’agit de l’Iftar, cérémonie de rupture du jeûne du ramadan. Dans les décombres, la scène semble inconcevable. La table, aux couleurs vives, contraste avec le paysage détruit. La nourriture est aussi évoquée dans une vidéo diffusée à proximité. Un soldat confie son « bonheur de manger à nouveau de la viande après quatre ans ». 
L’exposition se termine par le gros plan d’un téléphone portable. Un habitant arpente les ruines de Douma pour jouer à « Pokemon Go », comme il l’aurait fait sans les combats. Le visiteur doit en revanche se réhabituer à la lumière du jour en sortant de la chapelle. Tout en se rappelant que ce qu’il a vu est loin d’être un jeu vidéo mais bien la réalité.

photo petite fille Douma
Une petite fille syrienne attend des soins suite à des bombardements dans la ville de Douma. © Flavien Larcade

Flavien Larcade

Violent tableau des rues philippines

Le Radar, un espace proche de la cathédrale de Bayeux, accueille  le travail de 18 photojournalistes. L’exposition « Guerre contre la drogue aux Philippines : La ronde de Nuit » nous plonge dans un pays marqué par des mois de violence.

La « Ronde de Nuit » est le nom donné par les photoreporters à leurs courses dans les rues philippines. À la recherche des scènes quotidiennes de la répression ordonnée par le président Rodrigo Duterte.  Policiers masqués et armés, cadavres gisant sur les trottoirs, familles en pleurs composent le tableau macabre dressé par l’exposition.

Cadavres anonymes

Le mode opératoire de la police semble être le suivant : se faire passer pour des vendeurs ou des acheteurs de drogues (généralement de méthamphétamine) pour identifier dealers et clients. Le déroulement de ce genre d’opération est opaque, mais on retrouve généralement le ou les suspects abattus. À côté de leur corps gît souvent un vieux revolver de calibre .38, élément sur lequel la police s’appuie pour justifier leurs tirs de légitime défense.

Rapprocher les photographies permet au spectateur de se plonger dans les nuits philippines. Quand son regard se pose sur un cliché, les autres scènes qui l’entourent renforcent l’immersion. © Pierre Petitcolin

Plus terrifiant encore, certains corps sont découverts abandonnés sur le trottoir, le visage enroulé de tissu ou de film plastique. L’origine de ces cadavres anonymes, souvent accompagné du message « J‘étais dealer ou toxicomane, ne faites pas comme moi », est floue. Face à eux, un portrait d’Edgar Matobato, ancien membre des DDS (Davado Death Squads), les escadrons de la mort de Davao. L’actuel président philippin, alors maire de cette ville, dirigeait ces milices. Selon le témoignage de l’ancien tueur à gage, leur tâche consistait à assassiner les nombreuses cibles désignées par Duterte : ses opposants politiques ainsi que les personnes qu’il soupçonne liées au trafic ou à la consommation de drogue.

Edgar Matobato affirme que les escadrons de la mort sont à présent déployés dans tout le pays. Et pourraient être à l’origine des cadavres anonymes jonchant les rues, ainsi que d’assassinats commis depuis des deux roues.

Les corps des victimes côtoient les visages éplorés de leurs familles. © Pierre Petitcolin

Entre neutralité et passion

L’autre scène récurrente de l’exposition est la douleur des familles des victimes. Ici, le rôle des photographes est salvateur. Aucune visibilité, aucun décompte officiel ne sont fait des morts de la « guerre contre la drogue ». Pour les familles, qu’un photo reporter puisse révéler la perte d’un proche leur donne enfin une reconnaissance. 

En préambule de l’exposition, les photographes déclarent : « Pour nous qui sommes sur le terrain, le conflit entre neutralité et passion est permanent. […] Les reportages sur les massacres dans la rue sont condamnés au prétexte qu’ils apportent un soutien aux toxicomanes et aux trafiquants. » Si l’exposition permet de saisir ce qui se déroule aux Philippines, le sélection de clichés crus, sans filtre, signe l’engagement de ses auteurs. Leur témoignage, au-delà d’informer les spectateurs, doit les amener à se révolter.

Pierre Petitcolin

Mosul, portraits de guerre

En suivant une escouade des forces spéciales irakiennes, Olivier Sarbil dépeint, dans son documentaire « Mosul », la bataille survenue dans la ville éponyme huit mois durant. Projeté le jeudi 5 octobre en avant-première au Prix Bayeux-Calvados, le film se démarque en s’attardant sur le point de vue des hommes qui mènent ce conflit.

Olivier Sarbil (à gauche) lors du débat qui a suivi la projection, avec Loïc Berrou, Gwendoline Debono et Laurent Van der Stockt.

« Tant que le coeur bat, il y a de l’espoir. » C’est sur ce leitmotiv, prononcé à de nombreuses reprises par les soldats irakiens, que s’ouvre Mosul. Il reflète la décision du réalisateur de placer l’humain, plus que le combattant, au centre de son film. Olivier Sarbil construit son récit sur le quotidien d’une escouade de dix hommes. Quand ils ne fêtent pas la libération d’un quartier, les soldats racontent, face caméra, les raisons de leur engagement dans l’armée et leur vision du conflit.

Seul sur le front

Le réalisateur a choisi de partir seul et sans traducteur pendant près de six mois sur la ligne de front, ce qui lui a permis de créer des liens forts avec les soldats, empreints d’empathie. Il n’hésite par à les filmer au téléphone avec leur famille, ce qui rappelle leurs statuts de père, mari et amant. Un procédé narratif qui semble parfois intrusif, mais qui sert toujours les propos du réalisateur.

Une part importante des scènes de bataille dévoile la complexité des relations qu’entretiennent militaires et civils. La présence des Mossouliens illustre les difficultés des forces armées à reprendre la ville : elle complique leur progression et les soldats redoutent qu’il y ait des terroristes parmi eux. Cette méfiance règne dans tous les esprits et est parfois à l’origine de violences à l’égard des habitants. Une scène montre notamment des militaires forcer un habitant à regarder dans la rue pour voir si des membres de Daesh s’y trouvent, pendant que d’autres menacent un enfant pour qu’il leur livre l’identité de partisans de l’État islamique.

Ces pratiques, en complément d’exactions déjà commises par l’armée irakienne par le passé, ne rendent que plus paradoxal le rapport entre militaires et civils : les deux camps doutent en permanence des intentions de leurs interlocuteurs. Le face caméra des membres de l’escouade est d’ailleurs l’occasion pour eux de déplorer ces pratiques.

Entraîné pour tuer

Le film témoigne de la haine de l’armée irakienne envers son ennemi. Amjad, sniper de l’escouade, calcule le nombre de ses victimes et s’en vante. Comme ses camarades, il est entraîné pour tuer, ce qui n’est pas sans conséquences. Dans les dernières interviews, les combattants rapatriés avant la fin du conflit se confient sur le stress-post traumatique dont ils sont l’objet.

Olivier Sarbil affiche dans Mosul des partis-pris techniques qui tendent parfois vers la fiction, que ce soit par la narration, la photographie ou la musique, composée par Grant Marshall et Stew Jackson du collectif Massive Attack. Le film parvient toutefois à garder sa crédibilité grâce à l’implication louable du réalisateur sur le terrain.

Briac Julliand

Une exposition pour fixer la mémoire de Bakhtiyar Haddad

Depuis le 2 octobre et jusqu’au 29, une exposition photographique est consacrée à Bakhtiyar Haddad au musée Mémorial de la Bataille de Normandie, à Bayeux. Ce journaliste et fixeur irakien a perdu la vie le 19 juin dernier, à Mossoul. Portraits de l’homme, reportages auxquels il a contribué, extraits vidéos de sa vie… L’exposition retrace son parcours, étroitement lié au conflit au Kurdistan irakien.

Le casque sur les oreilles, un visiteur s’isole pour regarder la vidéo sur le parcours du fixeur. © Jordan Guérin-Morin

L’exposition « Bakhtiyar Haddad, 15 ans de guerre en Irak » est un enchevêtrement. Des clichés de guerre et des moments de vie, plus calmes, avec le fixeur d’Erbil. Mais la visite n’est pas seulement photographique. Le spectateur y retrouve des vidéos, des textes d’hommage et des reportages publiés dans la presse française sur le conflit irakien.

Sur les murs, la cohabitation semble naturelle. « Bakhtiyar était aussi à l’aise dans le souk que sur la ligne de front », raconte Jean-Pierre Canet, ancien rédacteur en chef d’Envoyé Spécial, dans l’une des vidéos. Ce journaliste et fixeur décédé en juin dernier était un expert. Incontournable pour les journalistes occidentaux qui souhaitaient enquêter sur le front irakien.

Sur la photographie en haut à gauche, Bakhtiyar pose avec sa bien-aimée Mercedes. Sur les trois autres, la guerre. © Aurélien Defer

« Une vie incroyable »

François Hume-Ferkatadji, journaliste free-lance et correspondant pour Radio France en Egypte, est venu « découvrir le personnage » de Bakhtiyar Haddad. Devant ses yeux, certaines photographies du fixeur datent de 2003, sa première expérience en tant que fixeur. D’autres, bien plus récentes, prises en 2017. On le voit sur un toit de maison, en Irak, ou assis sur une chaise aux côtés du journaliste Samuel Forey. 

Au fil de la visite, on retrouve les photographies des journalistes ayant collaboré avec Bakhtiyar Haddad. © Aurélien Defer

Presque 15 ans sur le terrain à accompagner les journalistes internationaux. « Il a eu une vie incroyable, c’est rare d’être fixeur aussi longtemps », commente François Hume-Ferkatadji. « Nous, on ne le connaissait pas, mais tout le monde dit qu’il était le meilleur », poursuit le journaliste.

Une réputation que Bakhtiyar Haddad a forgé au fil de ses nombreuses collaborations avec des journalistes français : Martin Weill, Luc Mathieu, Véronique Robert, Arnaud Comte… Sous les photographies, de courts textes écrits par ceux qui le connaissaient le mieux. « Avec Bakhtiyar Haddad, on se sentait imbattable », décrit Samuel Forey.

À l’entrée de la salle, on découvre le visage de Bakhtiyar Haddad. © Aurélien Defer

Pourtant, à aucun moment, on ne rentre dans l’intimité du fixeur décédé, toujours rattaché au contexte politique irakien. Sans jamais tomber dans le pathétique, les photographies et les reportages de l’exposition défilent. Le visiteur voit les choses évoluer. À la fois Bakhtiyar Haddad, qu’il voit changer physiquement – malgré son sourire qui demeure – et la situation au Nord de l’Irak. 

L’exposition se clôt sur le décès des trois journalistes : Bakhtiyar Haddad, Véronique Robert et Stephan Villeneuve. Un dessin de Plantu, un portrait des deux reporters d’Envoyé Spécial et un sentiment amer. Leurs trois noms ont été gravés, jeudi 5 octobre, sur la stèle du Mémorial des reporters.

Sur la stèle, le nom du fixeur, aux côtés de ceux des deux journalistes d’Envoyé Spécial, décédés avec lui en juin dernier. © Aurélien Defer

Aurélien Defer