4 leçons du Prix Bayeux-Calvados 2017

DIMANCHE 8 OCTOBRE. C’est le dernier jour du Prix Bayeux-Calvados. Après avoir suivi l’actualité quotidienne du festival, vient le temps du bilan. Retrouvez en quatre points ce que nous en avons retenu.

1 | Les contraintes sur le terrain

Au gré des projections et des témoignages de reporters, nous en avons appris davantage sur les contraintes avec lesquelles ils doivent composer sur un terrain de conflit. Une idée directrice est apparue lors des chambres noires : le travail des journalistes est souvent le fruit de circonstances (logistiques, politiques, économiques). En évoquant l’aéroport de Mossoul, Arnaud Comte (grand reporter à France 2) nous a notamment confié : « L’aéroport avait été annoncé comme repris mais nous, quand nous sommes arrivés, rien ne disait qu’il l’était. » 

Afin d’illustrer ces propos, voici un extrait de notre critique du film Un journaliste au front : « De l’idée d’un sujet à sa réalisation, la route est longue pour le pigiste. Un fixeur, personne chargée de l’accompagner et de traduire ses propos, l’abandonne ainsi en cours de route car « c’est trop dangereux ». Le projet de suivre des combattants irakiens tombe à l’eau. Il doit aussi se confronter à de longs moments d’attente avant la réponse d’une rédaction à un sujet proposé (…). C’est l’envers d’un décor qui est montré et le métier de reporter de guerre démystifié. »

Ainsi, le traitement de l’information n’est pas nécessairement affaire de choix, en tout cas pas seulement. L’apport des fixeurs, le passage des check-points, la coopération des combattants, l’imprévisibilité des événements ou encore les contraintes économiques, demeurent de nombreuses influences sur le travail des journalistes. 

2 | L’accent mis sur la photo

Vous avez pu le découvrir au fil de nos critiques d’exposition : la photo a occupé une grand place lors de l’édition 2017 du Prix Bayeux-Calvados. « Conflits oubliés, conflits de demain », de l’agence NOOR ; « L’exode de Mossoul » de Jan Grarup ; « Syrie : une exposition multimédia de l’AFP » (exposition multimédia de l’AFP) ; « Guerre contre la drogue aux Philippines : La ronde de Nuit » (exposition collective) ; « Bakhtiyar Haddad, 15 ans de guerre en Irak » (exposition collective) ou encore « Sud Soudan, point d’ébullition » d’Adriane Ohanesian. A travers les clichés, de nombreuses zones de conflit pouvaient être découvertes.

3 | Les choix éditoriaux

Comment montrer la guerre et les zones de conflit ? La question est vaste et peut se voir proposer différentes réponses. Premièrement, il y a la question de l’esthétisme. Peut-on dresser un portrait fidèle des combats armés en faisant preuve de parti-pris techniques, que ce soit par la narration, la photographie ou la musique ? Mosul, le film d’Olivier Sarbil – dont nous avons fait une critique – nous amène à y réfléchir. Primé dans le catégorie « Télévision Grand Format », son documentaire, produit pour Channel 4 News, traite la bataille de Mossoul en se rapprochant souvent de la fiction.

Par ailleurs, les productions sont la plupart du temps empreintes de militantisme. Sans se montrer manichéennes, elles offrent toutefois un point de vue engagé. Cela paraît évident : les reporters ne vont pas se faire partisans des répressions meurtrières et des conflits armés. Dans notre critique de l’exposition « Guerre contre la drogue aux Philippines : la Ronde de nuit », nous écrivions : « Si l’exposition permet de saisir ce qui se déroule aux Philippines [les meurtres, la répression, ndlr], la sélection de clichés crus, sans filtre, signe l’engagement de ses auteurs. Leur témoignage, au-delà d’informer les spectateurs, doit les amener à se révolter. » L’idéal d’objectivité, s’il peut paraître inatteignable, s’éloigne peut-être un peu plus lorsqu’on travaille sur des zones de conflit.

4 | Un point de vue essentiellement masculin et européen 

Cet élément fut particulièrement criant lors de la soirée de remise des prix du festival. Sur scène, le présentateur et le président du jury étaient des hommes ; les intervenants étaient essentiellement masculins ; les statuettes étaient remises par des femmes. 

De même, les reporters nommés dans les différentes catégories et le choix des sujets montrent un point de vue presque exclusivement européen. Le traitement massif du Moyen-Orient met en scène des sujets qui nous concernent le plus directement. Le Prix Bayeux-Calavados n’est pas en marge du reste de la société. Il la représente.

 

 

 

La photo du jour #4 : May Jeong primée pour l’Afghanistan

Pavillon du Prix Bayeux-Calvados, samedi 7 octobre. © Jordan Guérin-Morin

May Jeong a remporté, samedi 7 octobre lors de la remise des Prix Bayeux, le Prix du Jeune reporter (presse écrite) pour son reportage en Afghanistan « La mort venue du ciel » pour le magazine The Intercept.

« Je suis heureuse parce que je parle d’une histoire que personne n’a couverte. L’Afghanistan n’est pas un conflit qui est dans les premières pages tous les jours. Je suis contente que l’on parle d’eux », a expliqué aux journalistes May Jeong. 

« Cette photo présente un double intérêt. Elle illustre la joie de May Jeong après sa récompense et montre les coulisses du Prix Bayeux-Calvados, ponctuées par de nombreuses interviews et rencontres », décrit Jordan Guérin-Morin. 

Vivez la soirée de remise des prix en direct

Bienvenue sur notre live, en direct de la soirée de remise des prix du Prix Bayeux-Calvados 2017. Nous vous faisons vivre l’événement minute par minute. Nous actualiserons cet article en continu. 

18h20. L’installation commence. Salle comble.

© Roxane de Witte

18h30. Nicolas Poincaré, animateur de la soirée et ex-grand reporter d’Europe 1, arrive sur scène. « Bayeux, capitale des grands reporters ! « , a-t-il clamé. 

© Roxane de Witte 

 18h41. Jean-Léonce Dupont, président du Conseil départemental du Calvados, s’exprime à son tour. « 15 000 collégiens, de 63 départements, ont participé de près ou de loin, en votant pour la photo qui symbolise pour eux le mieux le monde d’aujourd’hui. » La photo lauréate est celle d’Ameer Alhalbi.

© Alexandre Hodicq

18h52. Jeremy Bowen, président du jury et trois fois lauréat du Prix Bayeux-Calvados, entre sur scène. Des images de ses derniers reportages, en Syrie et en Irak, sont projetées. 

© Pierre Petitcolin

18h56. « C’était formidable de voir des grands reportages dans toutes les catégories », dit-il, solennel. « Nous devons nous battre pour garder la confiance du public », a-t-il ajouté au sujet des fake news. 

© Roxane de Witte 

19h00. May Jeong reçoit le prix dans catégorie « Jeune reporter (presse écrite) parrainé par Capa Presse TV » pour son reportage « The intercept – La mort venue du ciel ». Un extrait est lu par Sophie Nivelle-Cardinal. 

© Roxane de Witte
© Roxane de Witte
© Roxane de Witte

19h10. Les quatre photographes de l’AFP en Syrie, auteurs de l' »Exposition multimédia sur la Syrie » montent sur scène pour parler de leur travail. 

19h16. Le premier prix de la « Catégorie radio – Prix du Comité du débarquement » est décerné à Gwendoline Debono pour « Europe 1 » – L’entrée dans Mossoul (Irak) ». Le deuxième, à Mike Thompson de la BBC. Enfin, le troisième prix est attribué à Omar Ouahmane de France Inter.

© Roxane de Witte
© Roxane de Witte

19h33. Un extrait du travail, sur cinq épisodes, de Samuel Forey est lu par Sophie Nivelle-Cardinale. Il s’exprime : « Ce soir, je pense à Bakhtiyar Haddad, Stephan Villeneuve et Véronique Robert », ses collègues décédés en juin dernier. 

© Roxane de Witte

19h38. Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières, rejoint Nicolas Poincaré sur scène pour parler de la liberté de la presse en Turquie et au Mexique.

© Jordan Guérin-Morin

19h43. Le journaliste Fritz Schaap reçoit le prix dans la « Catégorie presse écrite – Prix Ouest-France – Jean Marin » pour « Der Spiegel » – Despair and debauchery in Assad’s Capital (Syrie). « Chaque endroit a sa propre milice. Rien ne se passe sans leur approbation« , raconte-t-il en allemand. 

19h47. Une vidéo-hommage en l’honneur des 55 reporters morts dans le monde cette année. Des images de la stèle de Bayeux, des témoignages des familles des victimes, des applaudissements… Des photos des trois journalistes Bakhtiyar Haddad, Véronique Robert et Stephan Villeneuve, sont diffusées. 

© Waldemar de Laage

19h52. Le prix Amnesty International dans la catégorie Vidéo est remis par Camille Blanc, présidente de la branche française de l’ONG. Le premier prix est remis à Waad Al-Keteab pour « Channel 4 » – Le dernier hôpital d’Alep détenu par des rebelles (Syrie). Le deuxième est attribué à Fergal Keane de la BBC, et le troisième à Brice Lainé de CNN. Un extrait vidéo du reportage lauréat est diffusé sur les écrans. La salle est lourdement silencieuse. 20h02. Nicolas Poincaré revient sur la situation des Rohingyas en Birmanie. « Un sujet qui sera très certainement traité lors de la prochaine édition du Prix Bayeux », commente-t-il. Un reportage de Nicolas Bertrand pour France 2 complète ses paroles. 

20h05. Le prix dans la « Catégorie TV – Prix région des lycéens et apprentis de Normandie » est décerné à Waad Al-Keteab pour « Channel 4 » – Le dernier hôpital d’Alep détenu par des rebelles (Syrie)

20h10. Nicolas Poincaré salue la mémoire d’Hervé Ghesquière, décédé en 2016. Sur les grands écrans, une vidéo-hommage est diffusée. Elle reprend des extraits de ses reportages en Tchétchénie. 

20h14. Le prix dans la catégorie « Télévision Grand Format » est remis à Olivier Sarbil (Channel 4 News) pour « Dans la bataille de Mossoul ». Olivier Sarbil est accueilli sur scène. Un extrait de son reportage est diffusé. « J’ai passé plusieurs mois avec la même unité, le même groupe armé irakien. J’avais décidé de partir tout seul et de suivre ces hommes pendant la bataille de Mossoul », raconte la voix grave d’Olivier Sarbil.

© Roxane de Witte© Roxane de Witte© Waldemar de Laage

20h27. Nicolas Poincaré souhaite un joyeux anniversaire à l’agence de photographie NOOR. « NOOR et Up Front nous annoncent leur fiançailles », commente-il à propos de la fusion des deux agences en une. Plusieurs de leurs photos et vidéos défilent sur les écrans.20h37. Le prix dans la catégorie « Image vidéo » est attribué à Olivier Sarbil (Channel 4 News) pour « Dans la bataille de Mossoul ». C’est son deuxième prix ce soir. 

© Roxane de Witte

20h40. Le présentateur de la soirée évoque la lutte contre la drogue aux Philippines et la répression du gouvernement Duterte. 20h47. Le prix dans la catégorie « Photo » est remis à Ali Arkady (Agence VII) pour « Kissing death ». « J’ai gardé mes sentiments pour moi. Je ne voulais pas qu’ils puissent savoir pour pouvoir continuer à être le témoin de tout ce que je voyais », commente-t-il à propos des photos de torture qu’il a prises.

© Waldemar de Laage
© Waldemar de Laage

20h55. Jeremy Bowen monte sur scène pour justifier le choix du jury : « C’est un sujet à controverse, la torture. On n’avait jamais vu des images pareilles. C’était vraiment très unique comme travail« , explique-t-il. 

© Waldemar de Laage

21h01. La dernière statuette est remise. Il s’agit de la catégorie « Prix du public (photo) ». Le lauréat est Antoine Agoudjian (Le Figaro Magazine) pour « La conquête de Mossoul ouest ». Nadine, une Bayeusaine, monte sur scène pour expliquer le choix du public. Les photos sont ensuite projetées sur les écrans. « Le crime doit être puni. L’impunité invite toujours à la récidive », livre le photo-reporter Antoine Agoudjian à propos des crimes de guerre en Irak. 

© Waldemar de Laage© Waldemar de Laage

21h10. Fin de la soirée de remise des prix. Les lauréats se rassemblent sur scène pour une photo de groupe.

© Waldemar de Laage

Textes : Joachim Gonzalez-Martinez et Aurélien Defer

La photo du jour #3 : « Journaliste tout le temps, partout »

Le 6 octobre à Bayeux, espace Saint-Laurent. © Roxane de Witte

Le Turc Burhan Özbilici était à Bayeux pour échanger avec des lycéens sur son travail de photoreporter. Le gagnant du World Press 2017 est employé par l’agence Associated Press depuis 28 ans.

Les élèves l’ont interrogé sur son travail de journaliste et sur la photo qui l’a rendu célèbre. « Journaliste tout le temps, partout », a-t-il clamé. En décembre 2016, il photographie l’assassinat de l’ambassadeur russe à Ankara dans une galerie d’art. Les risques qu’il a pris ainsi que la violence de la photo font débat. Les adolescents s’interrogent sur le rôle des journalistes. Une discussion philosophique sur leur rôle s’enclenche. Pendant les débats, Burhan Ozbilici s’avance vers les lycéens pour mieux entendre les questions.

« Après plus d’une heure d’échanges, j’ai décidé de m’approcher de la scène », raconte Roxane de Witte. Elle poursuit : « La proximité entre les élèves et Burhan Özbilici est illustrée ».