La photo du jour #2 : Une photo peut en cacher une autre

Jeudi 5 octobre 2017, Bayeux. © Alexis Borne

Une photo peut en cacher une autre. À Bayeux ce matin, des lycéens de Granville visitaient l’exposition « Guerre contre la drogue aux Philippines : la Ronde de Nuit ».

Pendant la visite, un jeune lycéen a sorti son téléphone pour immortaliser une photo : celle d’une main gantée et ensanglantée qui tient des balles de pistolet. « Je photographiais les regards des lycéens quand celui-ci a sorti son téléphone. Le résultat est à la fois drôle et fort : un photographe en a inspiré un autre », explique Alexis Borne.

L’élève immortalise ainsi la découverte de la situation aux Philippines, à travers des clichés durs et marquants. Une manière de partager à son tour son émotion de l’instant, sans utiliser de mots.

Des expositions riches en émotions : réactions du public

Le Prix Bayeux Calvados des reporters de guerre à démarré lundi. De nombreuses expositions sont réparties dans la ville. Au programme: Syrie, Guerre contre la drogue aux Philippines, conflits oubliés. Des expositions difficiles à regarder, mais bluffantes de réalisme.

Zoom : #Dysturb, déranger en informant

Créé en 2014, le collectif #Dysturb se sert de la rue pour afficher des clichés de photo-reporters en grand format. Le but : permettre au plus grand nombre d’accéder à une information gratuite et de qualité, notamment sur les zones de conflit.

La rue est l’un des moyens d’expression les plus partagés. De nombreuses personnes s’y réunissent et y font entendre leur voix. Pour cela, d’aucuns manifestent et usent d’éléments sonores. D’autres y affichent des posters géants, afin d’interpeller les passants sur le monde qui les entoure. C’est le cas du collectif #Dysturb.

Fondé en 2014 à Paris, #Dysturb est d’abord le fruit d’une rencontre, celle entre Pierre Terdjman et Benjamin Girette, il y a sept ans. Les deux hommes sont photo-reporters. Un jour, Pierre, de retour Centre-Afrique, a regretté que ses clichés n’aient pas plus de visibilité. La solution est trouvée : Pierre imprime ses photos en grand format, et va les afficher dans Paris, en bas de chez lui. Pour l’accompagner dans cette entreprise, il sollicite l’aide de Benjamin Girette. #Dysturb était né.

© Benjamin Girette / #DYSTURB, Paris on December 1st, 2015 // 15 rue de l’ecole de medicine 75005 PARIS : Special Operation with Magnum Foundation and #Dysturb for the COP21.

Diffuser l’information

Aujourd’hui, cette organisation à but non lucratif s’est développée. « Nous sommes beaucoup plus nombreux, plusieurs dizaines à agir en France, en Australie et aux États-Unis », explique Benjamin. #Dysturb n’a pas dévié de son objectif initial : celui « d’imposer l’actualité internationale au plus grand nombre, en s’affichant dans la rue, poursuit-il. Quand on s’installe rue de Rivoli, à Paris, on touche un panel assez large. »

#Dysturb cherche à diffuser des informations souvent méconnues du grand public. Leurs photographies – toujours légendées – sont autant d’occasions d’éclairer des événements passés sous silence. « Les messages qu’on diffuse se doivent d’affecter les passants, confie Benjamin. La situation des mines au Congo va impacter le prix de nos téléphones portables ; les conflits vont conduire à des mouvements migratoires, et cetera. Il est important d’en parler.»

« Dysturb » signifie « déranger », en anglais. Il s’agit précisément du but recherché en s’affichant dans la rue : « Les personnes qui tombent sur nos images n’ont pas choisi de le faire, contrairement à un magazine, détaille-t-il. On doit pouvoir les interpeller, sans pour autant tomber dans le choquant ou le dégradant. » Les posters permettent aux individus de s’interroger et de remettre leur regard en question. Ils sont ainsi un objet de scandale.

 

Une fenêtre vers l’actualité

#Dysturb sert ainsi un double intérêt : montrer la réalité du monde tout en offrant une information gratuite. Pour cela, la rue est un terrain de jeu idéal. « On peut s’exprimer comme on l’entend, d’une manière assez sauvage, raconte Benjamin. En réalité, on aurait besoin de nombreuses autorisations pour afficher. Mais cela prend trop de temps. Alors, le plus souvent, on agit dans l’illégalité. Mais nous ne vandalisons jamais et nous utilisons une colle à l’eau. » Cependant, les retours « sont très souvent positifs. Les policiers, les passants, les propriétaires comprennent cette philosophie, ce soucis d’informer. »

Mais cette gratuité de l’information implique une contrepartie : un manque de moyens. « On ne peut pas afficher 500 photos dans la rue, et nos légendes ne peuvent pas être infinies », ajoute le photo-reporter. #Dysturb doit plutôt être vu comme une fenêtre vers l’actualité, c’est-à-dire une sorte de « teaser qui donne envie d’en apprendre plus ». Les affiches de la rue ne sont pas une finalité, mais un moyen d’étendre son savoir.

Benjamin Girette s’approprie l’espace urbain avec ses photographies. © Jordan Guérin-Morin

En ce sens, le collectif fondé par Pierre Terdjman et Benjamin Girette ne se définit pas comme différent des médias conventionnels, mais plutôt comme complémentaire. La rue offre une autre perspective, qui nécessite d’être enrichie par d’autres sources d’information. #Dysturb lui-même étend son travail, par la publication d’un magazine – lui aussi gratuit – et des visites de sensibilisation dans des établissements scolaires, en association avec le Prix Bayeux-Calvados, où des posters sont affichés. #Dysturb cherche à ne pas l’oublier : informer, c’est avant tout éduquer.

                                                                                                                                        Joachim Gonzalez

La photo du jour #1 : À 4 529 kilomètres

Mercredi 4 octobre 2017, Bayeux. © Roxane de Witte

Depuis le 2 octobre, l’exposition « L’exode de Mossoul » du photographe Jan Grarup occupe la ville de Bayeux. Les photos du conflit entre l’Etat Islamique et les forces irakiennes existent entre les voitures et les passants. 

4 529 kilomètres séparent Mossoul de Bayeux. Pourtant, l’exposition permet de faire cohabiter deux villes et plusieurs cultures. Ces 25 photos sont percutantes, elles peuvent choquer. Certains passants s’arrêtent quelques secondes, d’autres poursuivent leur chemin. 

Ici, deux univers se font face, d’un côté la tranquillité d’un rendez-vous amoureux. De l’autre l’épuisement lié à l’exode. « J’avais sous les yeux l’image de Mossoul, immobile, et celle des amoureux, animés, à présent ces deux morceaux de réalité cohabitent, figés », explique Roxane de Witte. 

5 moments forts de la journée #1

MERCREDI 4 OCTOBRE.
À peine implanté en centre-ville, le Prix Bayeux-Calvados 2017 suscite déjà l’attention des Bayeusains. Premières timides allées et venues dans les expositions et premiers visionnages des œuvres en compétition … Néanmoins, le Prix a bel et bien commencé. Voici notre récapitulatif de la journée du mercredi 4 octobre.

1 | Pluie de bombes sur une famille syrienne

Comment continuer à vivre dans la Syrie en guerre ? Mardi soir, le cinéma le Méliès de Bayeux diffusait Une famille syrienne, le long-métrage du réalisateur Philippe Van Leeuw. Entre quatre murs, le foyer familial tente de survivre normalement, malgré les obus qui tombent sans cesse au dehors. Ces bombes qu’on ne voit pas, mais qu’on entend. Finalement, ce sont ces éléments qui sont déterminants.

Malgré la guerre, beaucoup de familles syriennes restent sur place. Soit parce qu’elles se sont fait piéger, soit parce qu’elles ont refusé de laisser leur vie derrière elles. Ces vies qu’elles tentent à tout prix d’entretenir, comme si tout allait bien, comme si la guerre ne menaçait pas à tout moment de fracasser l’équilibre de ce foyer aseptisé.

Retrouvez notre critique d’Une famille syrienne ici.

2 | Soldats de plomb sous le soleil ougandais

L’écrivain franco-états-unien Jonathan Littell passe pour la première fois du livre au grand écran. Mercredi 4 octobre à 20h30, son documentaire Wrong Elements est projeté au cinéma le Méliès de Bayeux. Dans ce film, le cinéaste braque ses caméras sur les ex-enfants-soldats de l’Ouganda, ceux qui s’en sortent. Pourtant, lorsqu’ils tentent de retrouver leur vie d’avant, ils ne sont plus que des « wrong elements », discordant avec leur environnement.

Le fils de Robert Littell dresse dans son documentaire les portraits de plusieurs ex-enfants-soldats : Geofrey, Nighty, Mike et Lapisa. Enlevés à l’adolescence, ils se livrent sur ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont commis et ce qu’ils sont aujourd’hui.

Retrouvez notre critique de Wrong Elements jeudi 5 octobre.

3 | Une sélection forte en émotions

À plus de 4000 kilomètres de Mossoul, le son des balles n’est pas altéré. Les reportages défilent sur les écrans de l’Espace Saint-Patrice © Jordan Guérin-Morin

« Les images sont parfois dures. Ce n’est pas toujours évident pour le public », reconnaît Jean-Paul Faire, responsable de la présentation de la sélection 2017. Il accueille, tous les jours jusqu’au dimanche 8 octobre, une dizaine de visiteurs à l’Espace Saint-Patrice de Bayeux. Les cinquante reportages en compétition dans les catégories radio, photo et télévision (petits et grands formats) y sont diffusés sur des tablettes et écrans. « Pour la première fois cette année, nous avons installé des affiches pour prévenir que certaines images peuvent heurter les plus sensibles », précise l’homme responsable depuis 22 ans. « Lundi, une professeure est venue voir l’exposition. Elle repérait les images que ses élèves ne pourraient pas voir. »

Dans les oreilles du visiteur, les casques crachent les bruits de balles et d’explosions. Une femme pleure la perte de ses enfants. Dans l’Espace Saint-Patrice, le silence règne. Ici, chacun compatit en silence à l’horreur de la guerre. « C’est dur, très dur même. C’est brut. Les photos, c’est plus facile. Il n’y a pas le son des bombardements et des coups de feu », avoue Léa Dubost, une spectatrice. « On sent aussi les dangers pris par les reporters. La caméra bouge. On se sent plongé dans l’action », poursuit son amie Camille entre deux reportages. 

4 | #Dysturb, une autre vision de l’information

#DYSTURB, Paris on December 1st, 2015 // 15 rue de l’ecole de medicine 75005 PARIS : Special Operation with Magnum Foundation and #Dysturb for the COP21. Photo pasted Ciril Jazbec © Benjamin Girette

Fondé en 2014 à Paris, #Dysturb est d’abord le fruit d’une rencontre, celle entre Pierre Terdjman et Benjamin Girette, il y a sept ans. Les deux hommes sont photo-reporters. Un jour, Pierre, de retour Centre-Afrique, a regretté que ses clichés n’aient pas plus de visibilité. La solution est trouvée : Pierre imprime ses photos en grand format, et va les afficher dans Paris, en bas de chez lui. Pour l’accompagner dans cette entreprise, il sollicite l’aide de Benjamin Girette. #Dysturb était né. 

Plus d’informations sur le collectif #Dysturb ici. 

5 | Tous formats, tous pays, le conflit vu par NOOR

Les documentaires diffusés sur les écrans de l’exposition résument parfaitement le sentiment d’impuissance des visiteurs face aux images du collectif NOOR. © Waldemar de Laage

Des sons, des images, des mots. L’agence photographique Noor n’a pas lésiné sur les moyens de plonger ses visiteurs dans l’univers de la guerre. Sobrement intitulée  » Conflits oubliés, conflits de demain », l’exposition multisupports est organisée par thèmes. Au pied de l’imposante Cathédrale de Bayeux, les photographies ornent le jardin de l’hôtel du Doyen. Certains portraits – dont les regards sont durs à soutenir – contrastent avec la verdure qui entoure le visiteur.

A l’intérieur du bâtiment, un son puissant d’avion résonne. En guise d’introduction à l’exposition, une vidéo sur les drones états-uniens. Dans la salle principale, des photos sont disposées sur les murs. Elles sont accompagnées de chiffres choc : « 22,5 millions de réfugiés dans le monde ». Plus loin, des tablettes attendent. Plusieurs travaux y sont proposés, un long format web, des vidéos également. Enfin, une salle à écrans est emplie d’un son permanent de guerres, de conflits et de combats.

 

La rédaction