Soudan du Sud, une situation critique

Les femmes et les enfants font la queue tandis qu’une fille se fraie un chemin à travers la barrière pour recevoir de la nourriture d’urgence sur le site de l’ONU qui abrite plus de 38 000 personnes déplacées à Djouba, au Soudan du Sud, le 25 juillet 2016. Adriane Ohanesian

Lors de la 24e édition du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre, dix prix ont été attribués en radio, télévision et presse écrite. Aucun d’entre eux ne parle des conflits africains. Sur cinquante productions nominées, deux seulement portaient sur le Soudan du Sud, un conflit oublié.

La guerre civile au Soudan du Sud a déjà fait 300 000 morts et 4 millions de déplacés en quatre ans. Des chiffres qui s’apparentent à ceux du conflit syrien, beaucoup plus présent dans les reportages présélectionnés au Prix Bayeux-Calvados. Lors de la remise des prix, le président du jury, Jeremy Bowen, a expliqué, en parlant d’Alep et de Mossoul : “Ces conflits ont un impact direct sur nous en Europe”.

Peu de journalistes se rendent au Soudan du Sud pour couvrir la guerre civile. Adriane Ohanesian, reporter pour Reuters, a photographié le conflit entre 2011 et 2017 et expose cette année à Bayeux.

 

 

Cette photoreporter états-unienne  explique la faible couverture médiatique par l’accès au terrain pour les journalistes, comme beaucoup d’autres terrains de guerre. Mais, au Soudan du Sud, cet obstacle est d’autant plus important qu’il n’existe pas de ligne de front à proprement parler. Les combats s’étendent à tout le territoire sud soudanais. Aucun civil n’est donc épargné.

Crise migratoire

Chaque jour, 1 500 à 3 000 Sud Soudanais quittent leur pays. Sur une population de douze millions d’habitants, une personne sur trois est déplacée. Les sud soudanais fuient la guerre et la famine. La majorité des réfugiés s’installent dans les pays limitrophes : l’Ouganda, la République Centrafricaine, le Kenya ou encore l’Ethiopie. Selon les derniers chiffres du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR), l’Ouganda totalise en 2017 plus de réfugiés (1 million), que tous les pays de la communauté européenne. Ce qui en fait le principal pays d’accueil en Afrique.J’ai fait plusieurs séjours au Soudan du Sud et toutes les familles que j’ai rencontrées ont été touchées par les atrocités de cette guerre. Ceux qui sont partis ne comptent pas rentrer, ils ne veulent pas infliger une autre guerre à leurs enfants”, explique Donatella Rovera, responsable crises et conflits à Amnesty international.

Comme c’est le cas pour de nombreux conflits, les populations les plus exposées aux effets des combats, sont les femmes et les enfants.

 
 

 

Des civils victimes d’exactions

Et, pour ceux qui restent, la situation est encore plus difficile : “Lorsque les civils sont arrêtés par les rebelles, ils sont maltraités car on les accuse de chercher à nourrir les forces du gouvernement. Quand les forces du gouvernement les arrêtent, ils sont accusés d’abriter les rebelles et sont traités avec violence”, précise Donatella Rovera. Les rebelles et les forces du gouvernement utilisent les mêmes méthodes : le massacre des hommes, le viol des femmes et des enfants, ainsi que la destruction des habitations. Elle conclut : “Pour  survivre au quotidien, les civils sacrifient les femmes pour aller chercher de la nourriture ou de quoi avoir un minimum de confort. Le viol des femmes est préférable à la mort des hommes.

Les camps de réfugiés sont devenus des bidonvilles. La population n’a plus la possibilité de cultiver des terres et les conditions sanitaires sont déplorables. “Mais ceux qui restent ne le font pas par choix. Ils sont juste prisonniers de ce pays “, souligne la journaliste Adriane Ohanesian.

           

 

Women and children stand in line while a girl forces her way through the fence in order to receive emergency food at the UN site that houses over 38,000 displaced people i Juba, South Sudan, July 25, 2016.

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Women and children stand in line while a girl forces her way through the fence in order to receive emergency food at the UN site that houses over 38,000 displaced people i Juba, South Sudan, July 25, 2016.

Difficiles interventions pour les ONG

Outre l’Organisation des Nations Unies (ONU), des organisations non gouvernementales (ONG) travaillent au Soudan du Sud. Sur place, Médecins Sans Frontières France a une équipe de soixante-treize expatriés français ainsi que 793 collaborateurs locaux . Leur travail sur le terrain se fait dans des conditions difficiles comme l’explique Jonathan Pednault, chercheur pour Human Rights Watch au Soudan du Sud, et chargé d’écrire les rapports de l’ONG depuis janvier 2016.

 

Deux hommes forts

Cette guerre civile est aussi un conflit entre deux hommes : Salva Kiir de l’ethnie des Dinkas et Riek Machar, de l’ethnie des Nuers, deux anciens combattants de l’APLS. À l’indépendance, Salva Kiir, alors président de la région du Sud, devient président du pays sans avoir été élu. Cet ancien militaire est secondé par Riek Machar, son vice-président. Des rivalités politiques éclatent et le 23 juillet 2013, Salva Kiir limoge l’intégralité de son gouvernement dont Riek Machar, candidat à la présidentielle 2015. Le 6 décembre Riek Machar dénonce « l’attitude  dictatoriale » du président. S’ensuivent de violents combats dans la capitale. Les forces de Kiir et de Machar s’affrontent à Djouba, la capitale, le 15 décembre. L’un dénonce une tentative de coup d’État de Machar, l’autre accuse Kiir de vouloir éliminer ses rivaux.

Riek Machar (à gauche) avec Salva Kiir (au centre).
          Riek Machar (à gauche) avec Salva Kiir (au centre).

Guerre politique et ethnique

Selon Marc Lavergne, chercheur au GREMMO et président de l’association Ressources et recherches humanitaires, ce conflit s’explique par les faits suivants :Machar et Kiir veulent accéder au pouvoir pour l’argent du pétrole, ils n’ont pas de programme, d’ambition pour leur pays. Ces hommes ont derrière eux des armées. Les seuls revenus qu’ils dégagent sont issus du pétrole. Avec la baisse du prix du pétrole, ils ont eu du mal à payer leurs soldats. Kiir et Machar leur expliquent alors que s’ils veulent des ressources, il leur faut piller et voler. Or cette situation a dégénéré et leur a échappé. À tel point que le Soudan du Sud se retrouve aujourd’hui dans une guerre civile.”

Selon Jonathan Pednault, c’est une guerre au départ politique qui s’appuie aujourd’hui sur des fondements ethniques.

     

 

16 000 Casques bleus

En janvier 2014, un traité de paix est signé entre les deux parties, non suivi d’effet. C’est seulement le 26 août 2015 que le président signe un accord de paix à Addis Abeba, en Éthiopie. L’entente prévoit la formation d’un gouvernement d’union nationale. Riek Machar revient d’exil et reprend son poste de vice président le 26 avril 2016. Entre le 8 et le 11 juillet de cette même année, les violences entre les deux camps atteignent leur paroxysme à Djouba. Bilan : 300 morts et 42 000 déplacés. Machar décide alors de repartir en exil. 4 000 soldats des forces de protection régionale sont mandatés. Ils s’ajoutent aux 12 000 casques bleus déjà sur place. 

La guerre civile persiste malgré la présence des ONG et de l’ONU. Depuis 2013, plus de 300 000 Sud Soudanais sont morts. “300 000, c’est autant de victimes qu’en Syrie”, appuie Michel Beuret, correspondant à Paris pour Radio Télévision Suisse. Les victimes de cette guerre sont, pour la plupart, mortes de faim. “L’aide alimentaire a du mal à arriver à cause des blocus de la part de l’État”, explique-t-il. En février 2017, un nouveau palier est franchi, l’ONU déclare l’état de famine. Le Soudan du Sud atteint un tel niveau d’effondrement que personne ne sait comment le pays va sortir de cette impasse.

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Maxime Oliveira et Mariam Koné