ZOOM #3 : La famille de Javier Valdez Cárdenas défend la liberté de la presse

Griselda Triana était au Prix Bayeux-Calvados pour rendre hommage à son mari Javier Valdez Cárdenas, journaliste mexicain tué par balle en mai dernier. De cette disparition est née un engagement familial en faveur de la liberté de la presse.

La famille de Javier Valdez Cárdenas, de gauche à droite : sa fille Tania Valdez, son épouse Griselda Triana et sa soeur Dora Valdez. © Jordan Guérin-Morin

« Nous restons à Bayeux jusqu’à demain », glisse Griselda Triana. La femme du journaliste mexcain Javier Valdez Cárdenas est attablée à la terrasse d’un restaurant bayeusain. Son mari était spécialiste du narcotrafic, il a été tué par balle le 15 mai dernier à Culiacan dans l’État du Sinaloa. Griselda Triana a parcourru 9 000 kilomètres pour lui rendre hommage.

Instant émouvant pendant le dévoilement de la stèle à la mémoire des reporters décédés. © Jordan Guérin-Morin

« Javier est mort dans la ville où il est né », a-t-elle insisté lors du dévoilement de la stèle 2016-2017 du Mémorial des reporters. « C’est important que le nom de mon mari soit gravé sur cette stèle », explique Griselda Triana. Le soleil brille sur sur ses cheveux roux. Elle commande et poursuit. « Hier, je me suis exprimée au micro pour rendre hommage à Javier et pour que personne n’oublie. » Les yeux de Griselda sont humides. Pourtant, elle ne laisse rien paraître.

Avec patience, elle répond aux questions et affronte la barrière de la langue. Sa fille, Tania Valdez, s’improvise interprète. Javier Valdez Cárdenas était le fondateur du quotidien Riodoce. Sa mort laisse place à un combat familial en faveur de la liberté d’expression. « La liberté d’expression est un droit universel. Tout le monde doit pouvoir s’exprimer », souligne Griselda Triana.

La serveuse dépose un hamburger sur la table. « Graciás », remercie Griselda. Elle reprend : « Aujourd’hui, je me bats pour que les journalistes puissent informer de manière critique et indépendante ».

La fille de Javier Valdez Cárdenas porte un tee-shirt à l’effigie de son père. © Jordan Guérin-Morin

Dora Valdez, la sœur de Javier Valdez Cárdenas, approuve en silence. Le métier de journaliste a coûté la vie de son frère. « Javier est mort parce qu’il a utilisé sa liberté d’expression avec les moyens de communication que sont internet et les réseaux sociaux », explique Griselda Triana. Elle conclut : « Il s’est exprimé à un moment où le Mexique est dangereux »

Le cas de Javier Valdez Cárdenas n’est pas isolé. Il était le sixième journaliste tué depuis janvier 2017 au Mexique. « Les journalistes mexicains sont en danger » , souligne Griselda Triana. « Il faut les protéger pour qu’ils puissent être libre de travailler. » La famille de Javier Valdez Cárdenas est déterminée. Sa fille Tania Valdez se lève de sa chaise. Elle écarte son manteau. Elle porte un tee-shirt à l’effigie de son père.

Jordan Guérin-Morin

Zoom : #Dysturb, déranger en informant

Créé en 2014, le collectif #Dysturb se sert de la rue pour afficher des clichés de photo-reporters en grand format. Le but : permettre au plus grand nombre d’accéder à une information gratuite et de qualité, notamment sur les zones de conflit.

La rue est l’un des moyens d’expression les plus partagés. De nombreuses personnes s’y réunissent et y font entendre leur voix. Pour cela, d’aucuns manifestent et usent d’éléments sonores. D’autres y affichent des posters géants, afin d’interpeller les passants sur le monde qui les entoure. C’est le cas du collectif #Dysturb.

Fondé en 2014 à Paris, #Dysturb est d’abord le fruit d’une rencontre, celle entre Pierre Terdjman et Benjamin Girette, il y a sept ans. Les deux hommes sont photo-reporters. Un jour, Pierre, de retour Centre-Afrique, a regretté que ses clichés n’aient pas plus de visibilité. La solution est trouvée : Pierre imprime ses photos en grand format, et va les afficher dans Paris, en bas de chez lui. Pour l’accompagner dans cette entreprise, il sollicite l’aide de Benjamin Girette. #Dysturb était né.

© Benjamin Girette / #DYSTURB, Paris on December 1st, 2015 // 15 rue de l’ecole de medicine 75005 PARIS : Special Operation with Magnum Foundation and #Dysturb for the COP21.

Diffuser l’information

Aujourd’hui, cette organisation à but non lucratif s’est développée. « Nous sommes beaucoup plus nombreux, plusieurs dizaines à agir en France, en Australie et aux États-Unis », explique Benjamin. #Dysturb n’a pas dévié de son objectif initial : celui « d’imposer l’actualité internationale au plus grand nombre, en s’affichant dans la rue, poursuit-il. Quand on s’installe rue de Rivoli, à Paris, on touche un panel assez large. »

#Dysturb cherche à diffuser des informations souvent méconnues du grand public. Leurs photographies – toujours légendées – sont autant d’occasions d’éclairer des événements passés sous silence. « Les messages qu’on diffuse se doivent d’affecter les passants, confie Benjamin. La situation des mines au Congo va impacter le prix de nos téléphones portables ; les conflits vont conduire à des mouvements migratoires, et cetera. Il est important d’en parler.»

« Dysturb » signifie « déranger », en anglais. Il s’agit précisément du but recherché en s’affichant dans la rue : « Les personnes qui tombent sur nos images n’ont pas choisi de le faire, contrairement à un magazine, détaille-t-il. On doit pouvoir les interpeller, sans pour autant tomber dans le choquant ou le dégradant. » Les posters permettent aux individus de s’interroger et de remettre leur regard en question. Ils sont ainsi un objet de scandale.

 

Une fenêtre vers l’actualité

#Dysturb sert ainsi un double intérêt : montrer la réalité du monde tout en offrant une information gratuite. Pour cela, la rue est un terrain de jeu idéal. « On peut s’exprimer comme on l’entend, d’une manière assez sauvage, raconte Benjamin. En réalité, on aurait besoin de nombreuses autorisations pour afficher. Mais cela prend trop de temps. Alors, le plus souvent, on agit dans l’illégalité. Mais nous ne vandalisons jamais et nous utilisons une colle à l’eau. » Cependant, les retours « sont très souvent positifs. Les policiers, les passants, les propriétaires comprennent cette philosophie, ce soucis d’informer. »

Mais cette gratuité de l’information implique une contrepartie : un manque de moyens. « On ne peut pas afficher 500 photos dans la rue, et nos légendes ne peuvent pas être infinies », ajoute le photo-reporter. #Dysturb doit plutôt être vu comme une fenêtre vers l’actualité, c’est-à-dire une sorte de « teaser qui donne envie d’en apprendre plus ». Les affiches de la rue ne sont pas une finalité, mais un moyen d’étendre son savoir.

Benjamin Girette s’approprie l’espace urbain avec ses photographies. © Jordan Guérin-Morin

En ce sens, le collectif fondé par Pierre Terdjman et Benjamin Girette ne se définit pas comme différent des médias conventionnels, mais plutôt comme complémentaire. La rue offre une autre perspective, qui nécessite d’être enrichie par d’autres sources d’information. #Dysturb lui-même étend son travail, par la publication d’un magazine – lui aussi gratuit – et des visites de sensibilisation dans des établissements scolaires, en association avec le Prix Bayeux-Calvados, où des posters sont affichés. #Dysturb cherche à ne pas l’oublier : informer, c’est avant tout éduquer.

                                                                                                                                        Joachim Gonzalez