ZOOM #4 : La Turquie d’Erdogan vue par les reporters

Un président tout puissant, des arrestations en masse, des médias bâillonnés. La situation de la Turquie est tendue. Pour l’évoquer, une soirée intitulée « Où va la Turquie d’Erdogan ? » était organisée vendredi 6 octobre au Pavillon Prix Bayeux-Calvados en présence de grands reporters.  

Mathias Depardon participait à la table ronde. © Prix Bayeux-Calvados

« La Turquie a sombré dans la dérive autoritaire.» L’affirmation d’Eric Vamir, chef du service reportage de France Inter,  a été posé en ouverture du débat. Quatre grands reporters étaient invités : le photographe Mathias Depardon et les journalistes Guillaume Perrier, Jana Jabbour et Erol Onderoglu. 

La discussion a débuté sur la tentative de coup d’État dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016. « Un accélérateur de l’Histoire qui a permis à Erdogan d’asseoir son concept de Nouvelle Turquie », explique le journaliste du Monde Guillaume Perrier. Désormais, cette date figure dans les manuels scolaires. Ce push manqué a été commandité par un « Conseil de la paix dans le pays », le groupe des Forces Armées turques. Le gouvernement l’accuse d’être lié à Fethullah Gulen, un intellectuel musulman turc.

Le bilan s’élève à 290 morts selon le ministère turc des Affaires Etrangères. Plus de 138 000 fonctionnaires ont également été limogés, 55 000 personnes emprisonnées au nom de la lutte antiterroriste ou pour des liens présumés avec la confrérie islamiste Gulen. Des chiffres estimatifs fournis par Reporters sans Frontières.

La Turquie possède huit frontières, terrestres ou maritimes, avec ses voisins. © Prix Bayeux-Calvados

« Aucun autre président n’a eu autant de pouvoir auparavant en Turquie. Cette dernière n’est pas fondée sur une démocratie mais une démocrature », déclare Jana Jabbour, journaliste au Figaro. Le référendum organisé en avril dernier a donné à Erdogan le droit de cumuler les fonctions de chef d’État, Premier Ministre, chef de la faction parlementaire ainsi que la possibilité de nominer les hauts magistrats dès 2019. Son électorat est composé de turcs conservateurs, les Sunnites de l’Ouest du pays et de petits commerçants d’Istanbul. La journaliste ajoute : « Erdogan possède une base 30 à 40 % de voix d’électeurs solides mais il arrive à chaque fois à réunir de nombreux soutiens pour arriver à 52 % par exemple au dernier référendum ».

171 journalistes incarcérés

La marge de manœuvre des médias a également été au centre du débat. Aujourd’hui, la Turquie occupe la deuxième place en termes d’emprisonnement de journalistes derrière la Chine. 171 journalistes  sont incarcérés à ce jour, un chiffre avancé par la plateforme turque P24. « Ce n’est pas un crime de soutenir les projets d’Erdogan mais les contrer est un crime », détaille Erol Onderoglu, journaliste franco-turc et correspondant de Reporters sans Frontières.

Fervent défenseur de la liberté de la presse, il a été arrêté en juin 2016 pour « propagande terroriste » suite à son soutien à un journal d’opposition au président turc. Le journaliste encourt jusqu’à 14 ans de prison. Il renchérit : « Je dois résister. Des confrères et consœurs sont dans une situation plus compliquée. Ils sont actuellement derrière les barreaux sans jamais avoir vu un juge ».

« L’Europe et la Turquie vont certainement chercher à engager un nouveau tournant basé sur la géostratégie », explique Erol Onderoglu. © Prix Bayeux-Calvados

La discussion a également porté sur l’adhésion du pays à l’Union européenne. « Entre 2002 et 2010, il y avait un vrai désir mais la situation de la justice turque est dramatique et c’est l’un des signes qui témoigne de l’éloignement de l’Union européenne », argumente Jana Jabbour. Toutefois, les exportations vers l’Union se maintiennent à hauteur de 45 %. Preuve que tous les liens ne sont pas rompus.

Mathieu Marin

 

Facebook Twitter Google+ Linkedin Mail