La photo du jour #3 : « Journaliste tout le temps, partout »

Le 6 octobre à Bayeux, espace Saint-Laurent. © Roxane de Witte

Le Turc Burhan Özbilici était à Bayeux pour échanger avec des lycéens sur son travail de photoreporter. Le gagnant du World Press 2017 est employé par l’agence Associated Press depuis 28 ans.

Les élèves l’ont interrogé sur son travail de journaliste et sur la photo qui l’a rendu célèbre. « Journaliste tout le temps, partout », a-t-il clamé. En décembre 2016, il photographie l’assassinat de l’ambassadeur russe à Ankara dans une galerie d’art. Les risques qu’il a pris ainsi que la violence de la photo font débat. Les adolescents s’interrogent sur le rôle des journalistes. Une discussion philosophique sur leur rôle s’enclenche. Pendant les débats, Burhan Ozbilici s’avance vers les lycéens pour mieux entendre les questions.

« Après plus d’une heure d’échanges, j’ai décidé de m’approcher de la scène », raconte Roxane de Witte. Elle poursuit : « La proximité entre les élèves et Burhan Özbilici est illustrée ». 

Une exposition pour fixer la mémoire de Bakhtiyar Haddad

Depuis le 2 octobre et jusqu’au 29, une exposition photographique est consacrée à Bakhtiyar Haddad au musée Mémorial de la Bataille de Normandie, à Bayeux. Ce journaliste et fixeur irakien a perdu la vie le 19 juin dernier, à Mossoul. Portraits de l’homme, reportages auxquels il a contribué, extraits vidéos de sa vie… L’exposition retrace son parcours, étroitement lié au conflit au Kurdistan irakien.

Le casque sur les oreilles, un visiteur s’isole pour regarder la vidéo sur le parcours du fixeur. © Jordan Guérin-Morin

L’exposition « Bakhtiyar Haddad, 15 ans de guerre en Irak » est un enchevêtrement. Des clichés de guerre et des moments de vie, plus calmes, avec le fixeur d’Erbil. Mais la visite n’est pas seulement photographique. Le spectateur y retrouve des vidéos, des textes d’hommage et des reportages publiés dans la presse française sur le conflit irakien.

Sur les murs, la cohabitation semble naturelle. « Bakhtiyar était aussi à l’aise dans le souk que sur la ligne de front », raconte Jean-Pierre Canet, ancien rédacteur en chef d’Envoyé Spécial, dans l’une des vidéos. Ce journaliste et fixeur décédé en juin dernier était un expert. Incontournable pour les journalistes occidentaux qui souhaitaient enquêter sur le front irakien.

Sur la photographie en haut à gauche, Bakhtiyar pose avec sa bien-aimée Mercedes. Sur les trois autres, la guerre. © Aurélien Defer

« Une vie incroyable »

François Hume-Ferkatadji, journaliste free-lance et correspondant pour Radio France en Egypte, est venu « découvrir le personnage » de Bakhtiyar Haddad. Devant ses yeux, certaines photographies du fixeur datent de 2003, sa première expérience en tant que fixeur. D’autres, bien plus récentes, prises en 2017. On le voit sur un toit de maison, en Irak, ou assis sur une chaise aux côtés du journaliste Samuel Forey. 

Au fil de la visite, on retrouve les photographies des journalistes ayant collaboré avec Bakhtiyar Haddad. © Aurélien Defer

Presque 15 ans sur le terrain à accompagner les journalistes internationaux. « Il a eu une vie incroyable, c’est rare d’être fixeur aussi longtemps », commente François Hume-Ferkatadji. « Nous, on ne le connaissait pas, mais tout le monde dit qu’il était le meilleur », poursuit le journaliste.

Une réputation que Bakhtiyar Haddad a forgé au fil de ses nombreuses collaborations avec des journalistes français : Martin Weill, Luc Mathieu, Véronique Robert, Arnaud Comte… Sous les photographies, de courts textes écrits par ceux qui le connaissaient le mieux. « Avec Bakhtiyar Haddad, on se sentait imbattable », décrit Samuel Forey.

À l’entrée de la salle, on découvre le visage de Bakhtiyar Haddad. © Aurélien Defer

Pourtant, à aucun moment, on ne rentre dans l’intimité du fixeur décédé, toujours rattaché au contexte politique irakien. Sans jamais tomber dans le pathétique, les photographies et les reportages de l’exposition défilent. Le visiteur voit les choses évoluer. À la fois Bakhtiyar Haddad, qu’il voit changer physiquement – malgré son sourire qui demeure – et la situation au Nord de l’Irak. 

L’exposition se clôt sur le décès des trois journalistes : Bakhtiyar Haddad, Véronique Robert et Stephan Villeneuve. Un dessin de Plantu, un portrait des deux reporters d’Envoyé Spécial et un sentiment amer. Leurs trois noms ont été gravés, jeudi 5 octobre, sur la stèle du Mémorial des reporters.

Sur la stèle, le nom du fixeur, aux côtés de ceux des deux journalistes d’Envoyé Spécial, décédés avec lui en juin dernier. © Aurélien Defer

Aurélien Defer

Arnaud Comte, reportages à Mossoul

Arnaud Comte, grand reporter pour le JT de 13h et de 20h de France 2, nous raconte les dessous de ses reportages sur la bataille de Mossoul en Irak.

 

Clément Saccomani : du photoreportage au management

Ancien photo-reporter, Clément Saccomani est aujourd’hui directeur général de NOOR Images*. Ses nouvelles fonctions lui font voir une autre facette de la photographie : la gestion des reporters.

Clément Saccomani est directeur général de l’agence NOOR Images depuis 2015.

Au pied de l’exposition « Conflits oubliés, conflits de demain », à l’Hôtel du Doyen, Clément Saccomani est au téléphone, tel un homme d’affaires. À 36 ans, Clément Saccomani est à la tête de NOOR Images. Il a d’abord arpenté plusieurs pays, comme reporter indépendant. À ce moment, il était journaliste. « C’est vraiment la curiosité qui m’a poussé à ça. J’avais étudié le droit et la science politique avant d’être reporter. »

 

Il exerce son activité pendant plusieurs années, et traite des sujets qui lui tiennent à coeur. Il se rend notamment en Amérique du Sud pour travailler sur les violences sexuelles,  et les brutalités faites aux femmes, en particulier dans les prisons.

Un tournant nécessaire

Clément Saccomani ne glorifie pas son métier, la dangerosité du terrain ou l’adrénaline qu’il a pu ressentir. Il avoue même qu’une remise en question lui a été nécessaire, après six ans de photoreportage.

 

Rapidement, le journaliste devient directeur éditorial pour l’agence Magnum photos. Il débute ensuite un projet avec NOOR Images, dont il dirige les activités depuis 2015. « Noor est venu me chercher en m’offrant un poste de directeur général, à Amsterdam. J’ai pu exposer ma vision des choses, ce que je pense de l’industrie de la photographie, son marché, son économie, pour développer et assurer la pérennité de l’agence. » 

Dans l’éthique et l’engagement de NOOR, Clément Saccomani retrouve les sujets auxquels il tient, comme la violence faite sur les femmes. Sans s’éloigner du monde de la photographie qu’il affectionne toujours autant, il s’exerce à de nouvelles activités . 

Lorsqu’on lui demande s’il regrette le terrain, Clément est partagé. Evidemment, les difficultés du jeune reporter lui viennent à l’esprit. 

 

« Photographe, c’est le plus beau métier du monde »

Avec une métaphore bien à lui, il explique comment il voit la photographie, un travail non plus solitaire mais collectif. « C’est un gros gâteau dont le reporter, lorsqu’il appuie sur l’objectif, serait la cerise. Et beaucoup de maillons participent à l’élaboration de ce gâteau. Les photographies ne sont que la fin d’un long processus. » 

Il considère que son rôle de directeur général est plus utile pour l’information. « Mon activité est différente, mais je touche plus de monde, et les travaux de journalistes de Noor disposent d’une large audience. J’ai traité auparavant des sujets que je trouvais très importants, et j’ai réalisé à la fin que c’était compliqué. Je n’avais pas les ressources, les connaissances ou le réseau. Au final je vendais une ou deux photos, et c’était frustrant. » 

Clément Saccomani, permet à des journalistes de s’y rendre dans les meilleures conditions possibles. Il travaille avec une nouvelle philosophie : « être heureux pour les autres et pas tristes pour nous. »  

Dorian Girard et Alexandre Hodicq

*NOOR Images est une agence photographique créée en 2007.

ZOOM #2 : 55 noms gravés sur la stèle des reporters disparus

La stèle 2016-2017 du mémorial des reporters a été inaugurée, jeudi 5 octobre 2017, lors du Prix Bayeux-Calvados. Les journalistes présents ont rendu hommage à leurs collègues disparus.

Olena Prytula, rédactrice en chef du journal ukrainien Ukrayinska Pravda, contemple le nom de son collègue Pavel Sheremet, décédé en 2016. © Waldemar de Laage

« Ce soir, nous aurions pu faire le portrait de 55 journalistes », regrette Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters Sans Frontières (RSF). Il présidait l’inauguration de la stèle 2016-2017 des reporters morts dans l’année. « Nous rendons hommage à l’ensemble des journalistes qui perdent la vie », poursuit-il. Dans le public, le silence règne. Les rares discussions sont chuchotées.

« Les journalistes locaux sont les premières victimes des conflits », explique Christophe Deloire. « Ils sont exécutés parce qu’ils enquêtent sur la situation de leurs pays. » Le secrétaire général de RSF a ainsi souligné l’importance des fixeurs, qui prennent des risques pour accompagner les journalistes sur le terrain.

Au pupitre, Hélène Risacher, directrice adjointe des magazines d’information de France Télévisions, s’est interrogée : « Que pouvons-nous faire pour soutenir les reporters de guerre ? » L’ancienne journaliste est revenue sur le parcours de Véronique Robert : « Elle couvrait depuis huit mois l’offensive pour reprendre Mossoul en Irak avec la Golden Division ». Véronique Robert est décédée le 24 juin 2017 suite à l’explosion d’une mine artisanale. Les autres membres de son équipe, le journaliste Stéphan Villeneuve et le fixeur Bakhtiyar Haddad, ont aussi perdu la vie. Blessé lors de l’explosion, le journaliste Samuel Forey était présent à l’inauguration.

Au Mémorial des reporters

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Fort moment d’émotion pour le journaliste Samuel Forey. © Jordan Guérin-Morin

Jordan Guérin-Morin